Run s’enfuit… Il vient de tuer le Premier ministre de son pays. Pour cela il a dû prendre le visage et les vêtements d’un fou, errant à travers la ville. Sa vie lui revient par flashes ; son enfance avec maître Tourou quand il rêvait de devenir faiseur de pluie, ses aventures avec Gladys la mangeuse et son passé de milicien en tant que Jeune Patriote, au cœur du conflit politique et militaire en Côte d’Ivoire. Toutes ses vies, Run ne les a pas choisies. À chaque fois, il s’est laissé happer par elles, en fuyant une vie précédente. C’est pour ça qu’il s’appelle Run.
J’ai filmé mon quartier de Wassakara, qui est lui-même une partie de Yopougon, un faubourg d’Abidjan de plus d’1,5 millions d’habitants. Ce sont des gens qui votaient en majorité pour le FPI (le front populaire ivoirien de Laurent Gbagbo). Un jour j’ai interviewé un jeune patriote qui m’a dit « moi, j’ai eu trois vies ». Il y avait la promesse d’un film. Il ne m’a pas raconté ses trois vies, c’était à moi de le faire. De plus quand je tournais un documentaires, il y avait des choses que je ne pouvais pas dire faute de preuves sur la dimension onirique et mystique de cette guerre.

Parlant de la crise électorale en Cote d’Ivoire, Philippe LACOTE le réalisateur raconte le récit effroyable sur la vie de Run.
« Nous avons tourné deux ans après cette crise, j’étais décidé à utiliser cette réalité. Les Jeunes Patriotes, ce ne sont pas des enfants soldats, c’est différent, ce sont des jeunes qui habitent les quartiers sont militants, sont craints dans la rue, dénoncent les suspects et font leur propre business, il y a un aspect gang et un aspect politique. Je ne voulais pas montrer les images de l’actualité, les incendies, les pillages. Je voulais les montrer dans leur quartier, au repos, hors conflit. Il fallait nommer ce mouvement ».
« L’amiral fait penser au général de la rue, Charles Blé Goudé. J’ai travaillé à la frontière de l’évidence. Je voulais que le public identifie les personnes auxquelles je pensais sans que ce soient tout à fait elles. J’ai organisé une projection avec plusieurs leaders politiques, qui discutaient entre eux pour savoir qui était en réalité cet « amiral » du film, devenu premier ministre. L’un disait c’est Blé Goudé à cause de son surnom. L’autre c’est Guillaume Soro, parce qu’il était issu d’une rébellion et avait été nommé premier ministre (par le président Ouattara), un troisième que c’était le général Robert Gueï, qui n’était ni jeune patriote, ni premier ministre, mais a été arrêté dans la cathédrale et tué ensuite. Pour les Ivoiriens, il y a plusieurs niveaux de compréhension ».